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Le suffisantisme en complément

Certains sont relativement mal à l’aise avec la distinction choix/circonstance. Ils trouvent la distinction tantôt trop floue (car la réalité est souvent mélangée), tantôt insuffisamment justifiée et trop dure (avec ceux dont le désavantage vient d’un choix), voire trop généreuse (avec ceux dont le désavantage résulterait d’une circonstance mais ne menacerait pas la capacité des intéressés à satisfaire leurs besoins de base). Il existe cependant une doctrine qualifiée de « suffisantisme » qui peut obtenir comme complément ou comme substitut à l’égalitarisme leximinien ou classique des circonstances. Il s’agit cette fois de substituer à la distinction « choix‐circonstances » celle qui sépare nos besoins de base de ce qui ne l’est pas (besoins non‐basiques ou simples préférences). Une telle théorie qui propose donc une distinction alternative tiendra en deux principes :

1. La société se doit de veiller à ce que chacun d’entre nous dispose à tout moment des moyens nécessaires à la couverture de ses besoins de base.

2. Au delà d’une telle couverture des besoins de base, et mis à part des préoccupations pour d’autres composantes telles que les libertés publiques, la société n’aurait pas d’obligations distributives en sus. On peut constater une série de choses sous‐tendant cette doctrine « minimex » (ou RMI). D’abord, une telle théorie peut être à la fois plus et moins « généreuse » qu’un égalitarisme des circonstances. Plus parce que quelles que soient les raisons pour lesquelles je suis incapable de pourvoir à mes besoins de base, la société va veiller – parfois via des mécanismes de bons dédiés – à ce que j’ai assez pour atteindre mon seuil de besoins. Moins car un suffisantisme simple ne compense pas les victimes de désavantage dont l’état physique et les moyens seraient suffisants pour couvrir leurs besoins de base, même s’il s’agit malgré tout de handicaps significatifs qui feraient dans nos systèmes juridiques l’objet d’une indemnité pour incapacité partielle de travail par exemple. Ceci peut donc être particulièrement dur si le seuil de suffisance est placé assez bas. Cette dureté du suffisantisme lui‐même peut alors être corrigée à son tour, d’au moins deux manières. Soit, il s’agit de concevoir un seuil de suffisance particulièrement élevé. Soit, il est possible, même avec un seuil bas, de combiner le suffisantisme avec un égalitarisme des circonstances66. Dans ce dernier cas, une personne se verra garantir une couverture de ses besoins de base.

Pour le surplus, on ne lui refusera pas nécessairement de compensation. Cette dernière sera néanmoins conditionnée à la possibilité de démontrer que le désavantage concerné résulte effectivement d’une circonstance. Le suffisantisme présente des propriétés multiples qu’il serait trop long de discuter ici. Il se peut par exemple qu’il ne doive pas être évalué « sur les vies complètes » (voir séance suivante) mais plutôt en continu. De plus, le positionnement sur l’échiquier gauche‐droite dépendra du niveau du seuil de suffisance défini par la société concernée ainsi que de la question se savoir s’il est ou non combiné avec un égalitarisme des circonstances pour le surplus. Enfin, une question particulièrement intéressante consiste à comprendre pourquoi la distinction « choix –circonstance » serait jugée pertinente au‐dessus du seuil de suffisance alors qu’elle ne le serait pas en dessous. Il existe au moins deux manières de rendre compte de cette discontinuité. Soit, l’on estimerait que laisser quelqu’un tomber en dessous d’un seuil de suffisance serait inhumain, quelles que soient les raisons pour lesquelles cette personne se trouve dans cette situation. L’indifférence du suffisantisme à la distinction « choix‐circonstance » résulterait alors d’une volonté de traiter les personnes « comme des chiens ». Soit, l’indifférence à cette distinction résulterait plutôt d’un postulat factuel : en dessous d’un seuil de suffisance, aucun choix d’un agent ne pourrait être considéré comme un choix véritable. Cette seconde approche présente un mérite. Pour ceux qui souhaitent combiner suffisantisme (en dessous du seuil) et égalitarisme (classique ou leximinien) des circonstances (au‐dessus du seuil), il est possible de considérer qu’en principe, la distinction « choix‐circonstance » reste pertinente à la fois sous et au‐dessus du seuil. Mais ce qui change, c’est qu’on estime qu’il n’y a pas de choix véritable possible si l’on est en dessous d’un tel seuil.

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