Comment croire aux ancêtres ?
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Dans le Bénin méridional contemporain, croire en Dieu ou à l’activité des sorciers ou des défunts est une façon de penser quotidienne. Certes, on sait bien au Sud-Bénin que les esprits ne peuvent être appréhendés empiriquement comme peuvent l’être les animaux ou les autres hommes, mais l’évidence de leur existence est (re)produite au jour le jour par des interprétations largement partagées. On trouve ainsi au quotidien des attestations de leur existence et de leur action dans les décès inopinés, dans les maladies auxquelles la biomédecine des centres de santé ordinaires ne permet pas de trouver une solution satisfaisante, ou au contraire dans les guérisons inattendues, dans les heureux hasards qui font qu’on échappe « miraculeusement » à un accident, ou qu’on obtient un travail parmi une foule de postulants, etc. Mais de façon très ordinaire, on dit aussi, typiquement, dans la même région, que « personne n’est jamais allé làbas pour revenir et dire comment c’était ». S’il fallait résumer une telle attitude en une formule rapide, plutôt que « je sais bien mais quand même », je dirais que, au Sud-Bénin, bien des pratiquants des cultes « traditionnels », lorsqu’on sollicite leurs réflexions sur l’objet de leur croire, disent en substance « je ne sais pas mais c’est ça », reconnaissant d’abord les limites de leur savoir pour soutenir ensuite que tel et tel phénomènes montrent bien cependant que l’action des esprits dans le monde est indéniable.
Les ancêtres existent mais on ne les voit pas, on ne sait pas très bien comment ils agissent, on ne sait pas très bien pourquoi ils n’agissent pas toujours quand on a besoin d’eux, et on n’est pas tout à fait sûr que la façon dont on interagit avec eux au cours des rituels est la bonne. Ainsi, au Sud-Bénin comme dans l’Europe occidentale, les acteurs religieux sont bien conscients qu’on ne fait pas l’expérience de l’action des ancêtres ou de la Vierge comme celle de la pluie ou de la chute des corps. Il n’est pas moins vrai cependant que la reconnaissance de l’action d’esprits invisibles dans la vie des hommes est inégalement naturalisée dans le Sud-Bénin contemporain et dans l’Europe, et que l’existence des ancêtres n’est pas aussi problématique au Bénin qu’en Europe l’action de la Vierge ou la survie dans un au-delà et « la confiance en Dieu ». On a fait remarquer que la notion de croyance était saturée par les connotations disqualifiantes et les ambiguïtés théoriques, et elle est certainement loin d’être la seule notion de l’anthropologie dans ce cas. Mais on ne pourrait plus, dans un tel contexte, raisonnablement croire à la croyance. Nul ne décide vraiment, cependant, de la postérité des concepts, et mon souci ci-dessus était surtout de rappeler qu’on ne saurait jeter trop vite le bébé des logiques pratiques ou des dispositions intériorisées avec le bain des croyances.