La culture au pluriel
- Publié dans Histoire
- Lu 277 fois
- Soyez le premier à commenter!
- Imprimer
Même si Boas a une conception de la culture comme esprit ou génie spécifique d’un peuple cela ne lui fait évidemment pas renoncer à toute causalité interne. Il en est ainsi de son traitement des mythes amérindiens dont il traite à la fin du XIXe siècle, et dont il reconnaît à la fois qu’il s’agit là d’un matériau symbolique qui fait l’objet de bien des emprunts entre populations indiennes, mais aussi que ces mythes sont retravaillés selon « le génie du peuple » qui les a empruntés.
Ainsi, une autre caractéristique de l’anthropologie boasienne est son attention à replacer les traits culturels en contexte, son attention pour les contextes dans lesquels les traits culturels sont insérés, et dont ils tirent leur sens.
Mais il s’agit aussi de porter son attention à la complexité des dynamiques historiques qui ont mené à l’émergence de telle ou telle « culture ». Pour Boas, on ne saurait comparer des traits culturels isolés de leur contexte, car un même objet, élément ou trait culturel, par exemple, peut avoir différentes significations dans des contextes culturels différents.
Fondamentalement, Boas introduit donc le souci des totalités culturelles, de leur singularité et de leur cohérence, mais aussi de la complexité de leur devenir et de leurs transformations historiques, en même temps qu’il marque une méfiance pour les « grandes théories » évolutionnistes, jugées trop spéculatives.
Son influence principale sur l’anthropologie américaine se situa au niveau du déplacement des questionnements anthropologiques qu’il opéra, en les éloignant de l’évolutionnisme pour les rapprocher d’un intérêt pour la singularité et la complexité des cultures et de leurs dynamiques historiques.
En s’intéressant d’abord à des cultures singulières en ce qu’elles diffèrent d’autres cultures, et en soulignant que chaque culture doit être appréhendée dans sa spécificité, Boas développe donc une conception « particulariste » de la culture, mais se présente aussi comme un précurseur du relativisme culturel, position théorique qui suggère qu’une culture ne peut être évaluée à juger d’après des critères d’une autre culture, mais doit toujours être comprise dans ses propres termes et dans sa cohérence propre, chaque culture constituant une totalité spécifique.
Cette conception de la culture exercera une influence extrêmement importante sur l’anthropologie du XXe siècle.
Boas eu un impact qui fut en fait essentiellement critique. Tout d’abord en effet, la critique diffusionniste qu’il contribua à développer porta un coup sévère au paradigme évolutionniste en mettant au jour la conception trop étriquée du changement social et culturel dont ce paradigme était porteur.
Ensuite son souci des ensembles culturels et l’argument selon lequel les traits ou les éléments culturels ne peuvent être compris qu’en contexte, que rapportés à la configuration où ils prennent place et dont ils tirent leur sens, contribua à développer une conception relationnelle du réel et de la comparaison, et à déstabiliser le comparatisme trop substantialiste des évolutionnistes.
Après Boas, il était devenu plus difficile de soutenir l’idée d’un développement ou d’une évolution unilinéaire des sociétés, de considérer que celle-ci était essentiellement liée à l’inventivité spécifique des différents groupes humains, et de considérer que la culture était quelque chose dont les groupes humains pouvaient être plus ou moins porteurs selon leur place dans un tel schéma d’évolution unilinéaire.
Au contraire, Boas suggère de penser la culture au pluriel, dans la singularité de telle ou telle configuration historique, et soutient l’idée que chaque culture possède sa cohérence propre.
Enfin, il faut rappeler également l’éclectisme de Boas en matière scientifique, lequel le mena aussi à des recherches d’anthropologie physique et d’anthropométrie (mesure des caractéristiques physiques de l’homme), notamment sur les crânes de descendants d’immigrants européens aux Etats-Unis.
Il dégagea de ces recherches des conclusions sur l’effet des conditions d’existence et des styles de vie sur la biologie des populations, et sur l’instabilité des types « raciaux », ce qui le mena à une critique des théories racialistes cherchant à définir les caractéristiques propres à chaque « race ».